Lieutenant André Vicart

12^e Régiment de Chasseurs à Cheval
1883-1949

André Vicart est né à Hainneville, commune de Chaussoy-Epagny (Somme) en 1883. Plutôt que de suivre les traces de son père qui était à la tête d’une importante exploitation agricole, il se dirigea vers la carrière des armes. Comme tout fils de bonne famille son choix se porta sur la cavalerie et il servit au 13^e Régiment de Dragons avant la guerre (le portrait de gauche est daté 1909). A la mobilisation il était lieutenant au 12^e Régiment de Chasseurs à cheval. C’est au sein de cette unité qu’il s’illustra dans les premières heures de la guerre.

« Chaque matin, un peloton de chevaux-légers bavarois passait la Seille, à Nomeny, et entrait chez nous, où il restait en observation jusqu'au soir. Le 5 août 1914 au matin, le lieutenant Vicart, du premier escadron, fut envoyé à sa recherche. Il l'aperçut se glissant entre deux bois, à quinze cents mètres de lui; des obstacles infranchissables empêchaient de le charger. Nos chasseurs mirent pied à terre et ouvrirent le feu. Un Allemand tomba et les chevau-légers, faisant demi-tour, reprirent au galop la direction de Nomeny. Nos chasseurs voulurent leur couper la retraite et partirent, à fond de train, sur la route même.

Vicart montait un bon pur sang, avec lequel il courait des steeples et qui se trouvait alors en pleine forme. Entraîné par le désir de rejoindre les cavaliers allemands avant qu'ils ne pussent repasser la Seille, Vicart poussa son cheval à une allure telle que les montures de ses chasseurs lourdement chargés ne purent le suivre. Un cheval culbuta, une partie du peloton s'abattit sur lui et Vicart, de plus en plus animé, se trouva seul à la poursuite, il entra dans les derniers rangs allemands, distribua quelques coups de pointe et put ramener prisonniers deux des chevau-légers. Deux autres, isolés, étaient cueillis par le peloton et Vicart fit une entrée triomphale dans Pont-À-Mousson, avec quatre prisonniers peu de temps après les obsèques de Pouget et avant que la déclaration de guerre ne fut connue. Nous débutions bien ».

« Notes de guerre », Le 12e Régiment de Chasseurs au début des hostilités en I9I4, Général Frotiée.

Le lieutenant Vicart lors de la remise de la croix de guerre. Il est désigné par une croix et l’inscription « Bibi ». Outre le tableau d’honneur de l’Illustration, il figura sur un dessin reconstituant la capture des chevau-légers dans « l’illustration anglaise ».

La cavalerie se révélant rapidement inadaptée aux conditions modernes de la guerre, les chasseurs furent appelés à tenir le front comme des fantassins. Le lieutenant Vicart se trouve ici en juillet 1915 à l’entrée d’un abri en compagnie de deux sous-officiers et de son ordonnance (assis).

La guerre du lieutenant Vicart devait se terminer à quelques kilomètres du domaine familial de Marcelcave. A la fin mars 1918 les Allemands étaient sur le point de réussir la percée décisive de l’offensive Michael. Ils avaient traversé la vallée de l’Avre et le petit village de Grivesnes constituait le dernier obstacle sur la route d’Ailly-sur-Noye. Des renforts, dont un détachement du 12e Régiment de Chasseurs à cheval (12e Division d’Infanterie), furent envoyés à la hâte pour aveugler la brèche et faire face aux unités d’élite de la Garde. Le jour de Pâques, le 31 mars, sera marqué par des combats d’une extrême violence qui dureront jusqu’au 4 avril.

Récit du Mdl Edmond Berge du 12e Chasseurs à Cheval

« Venant de Vesoul par chemin de fer, nous débarquons dans une petite gare dont je ne me rappelle plus le nom ; nous nous rendons à Piennes près de Montdidier.

     Aussitôt arrivés, un demi-peloton sous les ordres du sous-lieutenant CASANOVE (fils du propriétaire du Champagne du même nom) part en reconnaissance afin de savoir où se trouve l’ennemi.

     Le soir même, à cheval, nous partons pour Grivesnes. Le capitaine QUESNEL qui commande l’escadron ne nous cache pas que nous sommes « sacrifiés »… Il faut arrêter l’ennemi coûte que coûte… se faire tuer sur place s’il le faut pour que les renforts aient le temps d’arriver…

     Au château de Grivesnes, nous sommes placés sous les ordres du lieutenant-colonel LAGARDE commandant le 350^e RI qui est déjà en place depuis la veille.

     Nos chevaux repartent de suite pour Piennes, un cavalier emmenant trois chevaux à sa droite et trois à sa gauche, soit sept chevaux pour un homme… Il faut économiser les hommes… Nous ne sommes environ que soixante-dix…

     Nous établissons notre cantonnement dans le sous-sol du château mais nous n’avons guère le temps de nous endormir.

     Avant le jour, nous recevons l’ordre d’établir une ligne de résistance derrière le château, entre la route d’Aubvillers et le petit bois (Bois Allongé). Notre section de mitrailleuses, avec le 350^e RI occupe la lisière nord du parc du château face à Aubvillers à notre droite. Une compagnie du Génie est déjà en place à notre gauche quand nous arrivons.

     Nous quittons équipement et manteau et nous mettons au travail ; malheureusement, les hommes ne m’écoutent pas, je suis un des seuls à creuser sérieusement un trou. J’y fait placer un fusil-mitrailleur. Le terrain où nous sommes, constitué par une vieille luzernière, est très dur ; les trous, et cela pour notre plus grand malheur, ne sont ni profonds ni nombreux.

     A Piennes, j’ai ramassé une bouteille de champagne et un pot de confitures. Je les ai placés sur le bord de notre trou, me réservant de les liquider, avec mes hommes, dès que possible…

Le matin du jour de pâques vers 10H00 l’ennemi attaque. Violemment pris à parti par notre tir, il se replie. Un peu plus tard, l’adversaire déclenche un très violent tir d’artillerie qui nous cause des pertes. La bouteille de Champagne et le pot de confiture que j’avais placés sur le bord de mon trou ont disparu sous terre. Les Allemands attaquent maintenant en force. Il ne peuvent progresser en face de nous tellement notre feu est violent.

     A notre droite, ils ont percé… Dans le parc, le long de la route d’Aubvillers, nous les voyons progresser. Il est alors près de 15H00. Dirigeant alors notre feu vers la droite et prenant ainsi l’ennemi de flanc, nous le mitraillons tant que nous pouvons et lui infligeons de lourdes pertes.

La riposte est rapide… Nous nous trouvons à notre tour sous le feu d’armes ennemies de toutes sortes et l’absence à peu près complète de tranchées nous est fatale. Un très grand nombre de mes camarades sont tués.

      Nous sommes entourés par la mitraille et il nous est impossible de nous replier. Mon camarade, le Mdl Combes, qui tente de se déplacer tombe non loin de moi. Je le tire par les jambes et le fait basculer dans mon trou… hélas, il est mort et son corps est criblé de balles… Le lieutenant Vicart, mon chef et ami, est grièvement blessé.

Cernés, et toute résistance étant devenue impossible, nous sommes obligés de nous rendre. Le capitaine Quesnel, un sous-officier et un homme, parviennent seuls à se sauver.

     Nous constatons alors qu’à part le lieutenant Vicart, il n’y a pas de blessés… Nous ne restons qu’une douzaine à être emmenés par les Allemands qui à ce moment sont parvenus à déborder le parc. La compagnie de Génie qui est à notre droite paraît avoir subi le même sort que nous… Elle ne compte certainement que bien peu de rescapés ».

(Témoignage recueilli par Monsieur Masse,
 ancien maire de Grivesnes)

Les premières nouvelles reçues par la famille du lieutenant Vicart n’avaient rien de rassurant. Pour l’ordonnance de l’officier la chose semblait entendue et il se préoccupait surtout de rendre le portefeuille qu’il avait récupéré, le cavalier Thierry donnait des renseignement quant aux circonstances de la blessure (en fait le lieutenant fut touché grièvement à la poitrine et au ventre) mais ne pouvait rien dire de plus car il avait réussi à s’échapper.

Le 10 avril 1918

Madame,

Ce pour vous faire savoir que je suis l’ordonnance du lieutenant Vicart et j’ais une triste nouvelle à vous faire savoire, que jais du laissez Monsieur Vicart quil était blaisez mortelment

Jen ais pas peux le ramenais comme les boches était de tous cotés surtout que quand jai voulu prendre le lieutenant il mas repondu quil alais mourire quils falais le laisser

Maintenants commes jenais plus de nouvelles du tous de Lui je me suis permis de vous écrire surtout qu’il ma donner son porte feuilles avec tous ces papiers et commes jen ais pas de nouvelles de ses parrens quils sont partie ausits.

Jemeux permais de vous écrire quare sils vous corespondais avec ces parrens vous pourais me renseignée pours son porte feuille.

Voilas mon adresse

Leplat Charles
12em Chasseur
1em Escadron 1em Peloton
Secteur Postal 33

Extrait de la lettre du cavalier Thierry du 1er Escadron
Hôpital Mixte de Nevers, 22 avril 1918

« Nous sommes montés en ligne à Grivesnes le jour de Pâques. Du peloton nous étions 13. A midi le boches ont attaqué. Au lieu de venir de face, nous avons été contourné, pas moyen de se retirer malgré les rafales de balles que nous tirions en quelques minutes : nous étions cernés tout à fait.

Monsieur Vicart était avec moi dans un trou d’obus, alors il me dit : « fais ce que tu veux, moi je ne veux pas être pris ». Il s’élance pour se sauver, moi je le suivais, je courais assez loin de lui pour ne pas offrir une trop belle cible à nos adversaires quand je me suis senti blessé, une balle m’avait traversée l’épaule droite.

Quelques pas plus loin, le lieutenant Vicart tombe en avant : « laissez-moi je suis perdu ». J’ai supposé qu’il était touché dans la poitrine. J’ai bien eu la pensée de l’emporter… mais déjà bien faible moi-même je n’aurais jamais pu le charger sur mon dos et dans cette rafale de fer je ne serais arrivé à aucun résultat. J’ai pu m’échapper par miracle, je suis le seul du peloton qui ai donné des nouvelles ».

Les autres cavaliers hélas ne donnèrent jamais de leurs nouvelles et les familles se démenèrent pour au moins connaître l’emplacement des sépultures de leurs enfants :

Chaumont sur Aire, 10 Janvier 1919

Cher Monsieur Vicart,

Je veux tout d’abord vous remercier bien sincèrement de votre lettre reçue avec une certaine émotion et qui nous a prouvé une fois de plus combien vous pensez à nous dans notre peine et notre deuil. Nous sommes heureux à la pensée de vous savoir enfin rentré en France et sans doute à l’heure actuelle au milieu de votre famille, nous espérons que vous n’avez pas eu trop à souffrir de votre captivité et qu’une permission d’assez longue durée vous sera accordée afin de vous remettre définitivement de vos blessures et de votre exil.

Je vais maintenant vous parler des démarches que j’ai faites à Grivesnes en deux voyages différents : Quand l’armistice fut signée j’étais à Paris avec Pauline sur le point de partir là-bas ; n’ayant que quelques vagues indications nous fîmes des recherches qui restèrent infructueuses et en voyant le terrain si bouleversé nous désespérions presque de retrouver la tombe de notre cher Jules. J’écrivis alors au capitaine Quesnel pour lui dire le résultat de mon voyage et nos craintes de ne rien pouvoir retrouver. Quelques temps après il eut la délicate attention de demander une permission pour se rendre à Grivesnes même et me donner rendez vous à Bar Le Duc. Nous partîmes donc ensemble cette fois, nous eûmes plus de chance, la tombe des chasseurs fût retrouvée, elle se trouve dans l’intérieur du petit bois à gauche du parc du château à 40 mètres environ de la lisière du bois à l’endroit ou ce bois forme un angle dans un fourré si épais que nous ne l’avons pas aperçus la première fois que nous y étions allés bien que nous ayons passé tout prés.

Ils sont là 14 dans une fosse commune dont 4 soldats du 32ème d’infanterie, 2 du 2ème génie et 8 chasseurs dons le noms suivent sur une simple croix : Comptes Marcel, Toussaint Georges, Petipas René, Lange Antoine, Grosdidier Jules, Boisnaud Gabriel, Cornu Ernest, Merigot Henry. Monsieur Quesnel m’a dit qu’il s’occuperait de les faire mettre chacun dans un cercueil, le plus tôt possible, lorsqu’on fera l’exhumation il nous préviendra ainsi que toutes les familles afin que chacun puisse reconnaître le sien ; notre plus grand désir serait de ramener le nôtre dans notre cimetière.

En revenant prendre le train à la Faloise nous avons vu madame de Contes et ses enfants, prévenue par le capitaine qui me fit promettre de descendre chez elle lors de notre prochain pèlerinage à Grivesnes, ce que je ferais de grand cœur pour répondre à son aimable invitation ainsi qu’à la votre.

Nous sommes en possession d’une croix de guerre et d’une citation décernée à Jules, c’est un souvenir douloureux mais combien précieux. Je vous remercie d’y avoir pensé. Soyez persuadé qu’au souvenir de Jules s’ajoute souvent le souvenir de son chef qui a passé avec lui les dernières années de sa vie et qui nous a témoigné une si profonde sympathie.

Je vous prie, cher Monsieur Vicart, de recevoir de toute la famille, l’expression de ses sentiments les meilleurs et son plus reconnaissant souvenir.

P. Grosdidier

A son retour de captivité et après une convalescence le lieutenant Vicart put reprendre le commandement de son peloton, il revint à Grivesnes avec les familles des cavaliers tombés le 31 mars pour reconnaître les corps exhumés de la fosse commune, ce fut pour lui une terrible épreuve. Au cours de la Seconde Guerre mondiale sa propriété de Lamorlaye fut occupée en 1940 par des officiers, peut-être des combattants de l’autre guerre, qui déposèrent ses sabres et divers objets personnels à la mairie.

Sources : archives familiales de Madame Françoise Debeugny
pilot2@tiscali.fr