Né le 1er mai 1884 à Fort Saskatchewan (Alberta) d'un père indien Cree et d'une mère française, Henri Norwest fut bourrelier puis cowboy. Marié et père de trois enfants, il s'enrôla à 31 ans sous une fausse identité dans le 3rd CMR mais en fut rapidement chassé pour ivresse. Après un bref séjour dans la police montée du Nord-Ouest il s'engagea de nouveau le 8 septembre 1915 à Calgary dans le 50th Batallion mais sous son vrai nom cette fois. Envoyé en France, il s'y distingua comme tireur d'élite et obtint 115 " victoires officielles ", un score qui est resté inégalé dans toute l'armée britannique. Aux dires de certains prisonniers, il était connu et redouté chez l'adversaire.
Cette célébrité nous permet aujourd'hui de mieux le connaître que les autres indiens pour lesquels on ne dispose le plus souvent que du nom et du matricule. Plutôt petit mais solidement bâti, il avait un regard que nul n'oubliait après l'avoir croisé : " des disques de marbre poli, un regard clair à la fois implacable et pétillant d'humour ". On le disait assez réservé mais cela ne l'empêcha pas de s'intégrer facilement parmi les soldats canadiens. Jamais il ne se départait de son calme même dans les situations les plus critiques ou lorsqu'il s'adressait à des officiers supérieurs. Il avait été surnommé " Ducky " après une permission à Londres car il avait raconté à ses camarades comment il y avait été obligé de se cacher (to duck) des jeunes Anglaises, Ducky signifie également " Chéri ".
Expert en camouflage, il pouvait attendre son homme plusieurs jours et ne tirait que lorsqu'il était certain que son emplacement n'avait pas été éventé par l'ennemi. Il tuait chaque fois qu'il appuyait sur la détente. Il était invariablement flanqué de son observateur attitré : Oliver F. Payne. Le rôle de ce dernier était de lui indiquer des mouvements ou des cibles potentielles et bien entendu d'authentifier chaque " victoire ". Ils passaient la plupart du temps dans le no man's land et ne rentraient dans leurs lignes qu'à la pointe du jour.
Juste avant l'offensive d' Amiens Norwest avait été renvoyé à l'arrière mais sur sa demande insistante il avait rejoint le front où il s'était distingué une fois de plus en neutralisant des nids de mitrailleuses et des tireurs isolés. En remontant en ligne à la mi-août il déclara à ses camarades que son heure était venue. Il y avait bien longtemps en effet qu'il avait prédit qu'il mourrait d'une balle en pleine tête, tout comme ses victimes, et qu'il sentirait le moment où cela arriverait. Tous s'accordent à dire que rien dans son comportement ne trahissait une quelconque émotion sauf Cook Bert Hogg qui déclara : " J'avais fait un bout de chemin avec lui ce jour-là, il me sembla très triste et ne lâcha pas plus d'une douzaine de mots pendant tout ce temps. Il devait sentir que c'était son dernier jour ". C'était le dimanche 18 août 1918 à Fouquescourt près de Crucifix Corner. Bob Forrest nous a laissé un témoignage de ce qui se passa près de Dead Wood (Bois de la Mort) le si bien nommé " Nous étions 8 : 2 transmetteurs, 2 agents de liaison, 2 éclaireurs, Ducky et moi-même. Il y avait de nombreux tirs à faible distance de nos lignes. Ducky et Shorthy payne, son observateur, s'en aperçurent rapidement et décidèrent immédiatement de l'emplacement pour se poster. Soudain, alors que Ducky tirait, un sniper allemand tira également. La balle me rata mais toucha Ducky lui traversant la tête de part en part ".
Le colonel Page et tous les officiers vinrent se recueillir et saluer la dépouille de Nordwest ce qui était un témoignage d'habitude réservé aux officiers. Son corps était encore chaud quand le général Currie qui commandait l'ensemble des forces canadiennes ordonna à toutes le batteries d'artillerie et de mortiers d'écraser Dead wood sous leurs tirs. Même les fusils-mitrailleurs Lewis et les mitrailleuses se mirent de la partie. Jamais un soldat n'avait été si honoré.
Sur sa tombe provisoire des camarades inscrivirent : " C'était tout de même un sacré fusil que ce Norwest ".
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Le sergent éclaireur Purcelle A. Blain reçut l'un des fusils de Ducky, il en fit don plus tard au Musée de l'Armée à calgary où il est exposé aujourd'hui. Un autre fusil fut envoyé à Louis Norwest, son père. Aujourd'hui Henri Norwest semble bien oublié y compris par de nombreux membres de sa famille qui vivent dans la réserve à 60 km d'Edmonton pouvait-on lire dans un journal en 1989. Cette année-là afin de raviver son souvenir Marylin Buffalo-MacDonald, son arrière-petite-fille, avait organisé un repas avec sa famille le 11 novembre. La veuve de Norwest ne reçut jamais de pension, il aurait fallu pour cela abandonner le statut d'indien et la réserve pour toucher quelque chose du ministère des Anciens Combattants. " La seule parcelle de terrain que reçut Henry Norwest fut la tombe 30, rangée A, dans le cimetière de Warwillers Churchyard Extension ". Cette dernière affirmation est à prendre avec précaution car elle n'a pas été vérifiée et pourrait être une allégation de journaliste en mal de sensationnel.
Aucun statut ne distingue plus ce métis qui repose au milieu de ses frères d'armes blancs.
Sources :
" Warriors of the kings, Prairie Indians in the World War I " L. James Dempsey, Canadian Plains research center, University of Regina, 1999.
" The 50th Battalion in no man's land " Victor W. Wheeler, Alberta Historical Resources Foundation, 1980.
" Native Soldiers, Foreign Battlefields " Janice Summerby, Communications Division Veterans Affairs Canada, 1993
Montreal Gazette, 11th November 1989
© Santerre 14-18 2004