Joseph Conte-Dulong, est né à Ger (Basses-Pyrénées) le 27 novembre 1886. En 1914, Joseph, de la maison Réchou, connaît la vie calme d'un cultivateur dans un petit village du Béarn, limitrophe de la Bigorre. Il est marié à Anaïs et père de deux filles (Marie, née en 1911 et Berthe, en 1913; Jeanne naîtra en 1915 et Omer en 1919).
Joseph mobilisé au 14ème RA, traverse la France pour rejoindre les lointains champs de bataille du Nord et de l’Est dès le début de la Guerre.
Comme la plupart des hommes de sa génération, la « Der des Ders » hante ses souvenirs et, quelques mois avant sa mort survenue en 1982, souhaitant transmettre la mémoire de ces années terribles, il entreprend de rédiger puis de dicter ses souvenirs à ses arrière-petits-enfants. Vingt ans après, son arrière-petit-fils, Gilles Marrimpoey-Cadet, retrouve ce journal et le met en ligne non sans effectuer quelques recherches et vérifications préalables sur les données historiques.
Avec l’autorisation de Gilles Marrimpoey-Cadet, Santerre 14-18 a décidé de consacrer cette page à Joseph Conte-Dulong et de reproduire le passage où ce dernier évoque l’offensive allemande qui balaie le Santerre en mars 1918. l’intégralité du récit se trouve sur le site de Gilles Marrimpoey-Cadet (voir nos liens).
Les mots de cet homme de la terre sont simples et dépouillés…authentiques. Pas de tranchées ou de corps à corps sanglants (il a été, semble-t-il, « peu » exposé), plutôt des impressions et des actes qui peuvent paraître totalement anodins quand on les sort de leur contexte.
« Avant Montdidier, on était parti en repos dans une petite commune. On croyait faire un repos. On était installé depuis deux ou trois jours. L'après-midi, ordre de se préparer à partir de suite, destination inconnue. En route, rien de normal que deux soldats anglais et une plate-forme avec de quoi faire un pont du génie qui venait vers nous. Pas de coup de canon, rien.
A l'entrée de la nuit, on s'arrête sur la route. Il y avait un passage, un chemin d'exploitation, d'un côté à droite un grand champ de betteraves, de l'autre côté un champ en pacage. On rentre les pièces en batterie vers les betteraves et le reste roulant en suivant des ordres du conducteur des chevaux et les hommes à leurs postes. On passe la nuit ; rien de nouveau.
Le matin, au jour, le commandant Gillartin arrive à cheval avec sa suite des officiers, s'arrête devant le commandant de batterie et donne l'ordre de partir en vitesse les pièces en place le feu tant que les pièces pouvaient donner. C'étaient les Allemands qui avaient attaqué les Anglais qui tenaient leurs lignes avec des gaz asphyxiants soi disant. Ils ont abandonné leur première ligne. Les Allemands les ont suivis. On voyait Montdidier sur un haut plateau. Il était pris et ils sont tombés sur nous dans un endroit plein de trous et de côtes et les pièces à plein. Heureusement, il y avait un dépôt d'obus près d'une gare à Tricot qui nous a permis de fournir les obus. Tout marchait à grande vitesse. Nous avons eu de la chance car nous n'avons pas été bombardés, autour pour aller aux pièces on s'est trouvé.
Il y avait un bout de chemin. On ne pouvait passer qu'une voiture. Il a fallu passer avec les caissons vides devant la bouche à feu qui se trouvait à une distance de cinquante mètres. Elle était sur une hauteur semblait-il. Pour moi, je n'ai pas eu de chance. J'étais à la troisième voiture. Je me rappelle : je regardais deux fantassins des nôtres qui descendaient en rampant par terre. Je me rappelle de ça. Un obus m'est passé dessus la tête. Je n'ai rien ressenti sur le coup. Je me trouve renversé sur l'autre cheval, les jambes sur la selle et la tête sur mon sauverge. Je me relève. Je vois que la colonne était arrêtée et le conducteur de devant me regardait arrêté. Je me réveille ; je ne me trouvais pas la tête sur les épaules. Je me trouvais la tête vide complètement. Je me redresse sur la selle et en avant. Je ne trouvais pas ma tête. J'ai cherché avec ma main droite et j'ai trouvé que je l'avais encore. Alors je suis revenu à moi vite.
J'ai continué toujours. Seulement ce que j'ai eu de mauvais c'est qu'il a fallu se faire un passage pour retrouver la route dans un champ. La première voiture, je la vois descendre ; le derrière du caisson a fait partir un bon bord de talus. La seconde a fait partir sa part. La troisième c'était mon tour. Je l'ai conduite au milieu. J'étais un peu tenu par les chevaux et aussi de derrière.
Ca s'est passé très bien et en même temps, ma tête s'est fait sentir sur mes épaules. J'ai continué comme si rien ne s'était passé sauf que j'étais un peu dur d'oreille (Maintenant, je suis complètement sourd)».
© Santerre 14-18 2004