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Chasseur Georges Croslard

26e BCP, 5e Cie

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Georges Croslard (debout à gauche) et le lieutenant Donès (assis à droite).

Comme tant d’autres, il parlait peu de la guerre ou n’évoquait que des anecdotes peu guerrières comme cette longue marche dans un paysage dévasté et dépourvu de tout signe de vie jusqu’à cette ferme intacte où une petite vieille partagea son dernier poulet avec les soldats. Ce festin inoubliable, l’histoire du « poulet de la ferme du Bois de Fumin » (à proximité de Verdun), Georges la racontait volontiers.

Il avait cependant connu des épisodes plus glorieux comme en témoigne cette citation : « A fait preuve d’un admirable dévouement le 29 septembre 1916, en allant de sa propre initiative sous un bombardement violent, relever un chasseur grièvement blessé pour le transporter ensuite seul au poste de secours. »

Au dos de cette photo on trouve cette mention manuscrite : « Souvenir des attaques du chemin des Dames, avril-mai 1917. Le Capitaine Donès à son ancien et très dévoué ordonnance. »

 Fin mars 1918 la 127e DI était engagée à Grivesnes pour contenir les derniers coups de boutoirs de l’offensive Michael. Le capitaine Donès évoque brièvement cet épisode dans ses souvenirs : « Abrité derrière un silo de betteraves, je leur infligeai de lourdes pertes jusqu’au moment où une manœuvre sur mon flanc gauche où se trouvait la 4ème Compagnie, je fus obligé de reculer. Je perdis, dans cette affaire, de nombreux Chasseurs et, après relève, ma section était très vite rassemblée: elle ne comportait plus que huit hommes ! Mon ordonnance, le Chasseur Croslard, qui m’était extrêmement dévoué, fût très grièvement blessé, un éclat d’obus lui ayant littéralement emporté le maxillaire inférieur. De cette plaie béante, pendait sa langue. »

Chasseur d’une bravoure à toute épreuve, qui s’est maintes fois distingué au cours de la campagne, par son audace et son sang-froid. A été grièvement blessé le 4 avril 1918 en exécutant une progression sous un violent bombardement. Une blessure antérieure, une citation. La présente nomination comporte l’attribution de la croix de guerre avec palme. »

Le général Commandant en Chef
PETAIN

Il fut évacué par les brancardiers et les mois qui suivirent furent un véritable calvaire pour Georges. Qu’on en juge : 27 opérations dont 13 à vif… Cependant grâce au professeur Virenque (chirurgie maxillo-faciale)  et au docteur Prost (appareillage dentaire) il put recouvrer un semblant de visage.

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A l’hôpital de Beauvais il passa plusieurs mois avec son ami Rémi Ruffin de Honfleur qu’une amie d’enfance venait visiter de temps à autre … (Ruffin est le second en partant de la droite, Georges est à ses côtés avec un béret)

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La blessure au visage

Lorsqu’on aura posé les armes
Et que, joyeux levant le front
Et tarissant toutes les larmes
Reviendront : ceux qui reviendront !

Les femmes d’un élan farouche
Prendront les hommes sur leur cœur
Et baiseront à pleine bouche
Celui qui reviendra vainqueur.

Puis s’apaisera la joie ivre
Et l’ordre ayant donné ses lois,
Il faudra se reprendre à vivre
Ainsi qu’on vivait autrefois.

Or, bien peu reviendront sans doute
Les mêmes qui étaient partis,
Tel qui fut droit, hélas se voûte
Et tel autre a les cheveux gris.

Le front de celui-ci se ride
Ainsi que le front d’un vieillard
Et celui-là sa manche est vide
Et l’autre, il n’a plus de regard.

Mais les femmes consolatrices
Après l’étreinte du retour
Ennobliront les cicatrices
A force de soins et d’amour.

Toi, qui te crois vieux jusqu’à l’âme,
Écoute dans la paix du soir
Le rire de la jeune femme
Et ton cœur frémira d’espoir.

Toi, qui traînes une béquille
Pour guider ton pas incertain,
Le bras de quelque belle fille
Te soutiendra sur ton chemin.

Toi, dont l’épaule mutilée
Te rend sauvage et maladroit
Attends d’une âme consolée
Celle qui sera ton bras droit.
 

Mais toi, dont le masque effroyable
Est défiguré par l’horreur
Semblable au monstre de la fable
Dont les petits enfants ont peur.

Toi, qui dans la tragique fête
Au premier rang des bataillons,
A su, sans détourner la tête
Recevoir le coup en plein front.

Toi qui n’en es pas mort, pauvre homme,
Mais à toi-même hélas survis !
Toi, qui n’a su donner en somme
Que ton visage à ton pays…

L’amour se détourne à ta vue,
L’amitié ralentit le pas,
Et le soir de ta venue
Ton chien ne te reconnût pas !

Si tu n’as plus ta vieille mère,
Ne rentre pas à la maison
Oh ! pauvre enlaidi à la guerre
Fuis, au hasard, vers l’horizon !

Fuis ta demeure et ton village
On te plaint moins qu’hier déjà,
On se détourne davantage
Et demain on t’évitera.

Mais, si ta mère est à la porte,
Entre sans crainte, elle t’attend !
Pourquoi trembles-tu ? Que t’importe ?
Elle a reconnu son enfant !

Elle t’étreint et te regarde,
Et clame quelle chance j’ai…
C’est bien lui, je l’ai, je le garde
C’est mon fils, il n’a pas changé

 

Anonyme

 

Georges Croslard eut à supporter ces regards curieux ou ces visages qui se détournaient à sa vue. Il s’était retrouvé facteur à Paris mais les relations avec la clientèle furent souvent cause d’une grande souffrance : des enfants riaient de son visage, d’autres étaient effrayés ; il était devenu un croquemitaine bien commode pour certains parents… Il quitta donc cet emploi, ancien monteur en galoche il aimait dire : « je suis un boutiquier.» Il prit donc un café avec son frère qui revenait de Salonique. Il y avait du travail et il se souvint de la jeune fille qui venait voir son ami Ruffin à l’hôpital de Beauvais ; il lui demanda de venir l’aider. Elle avait bien souffert elle aussi… et des promesses qu’un autre n’avait pas tenues était née une fille que Georges reconnut en 1922 avant d’épouser la jeune femme en 1927.

Ils quittèrent la capitale pour reprendre à café à Langeais (à 20 km de Bourgueuil). Ce fut un représentant, mutilé également, qui effectua les démarches nécessaires pour qu’il obtienne une pension. Par la suite Georges adhéra aux Gueules Cassées dont la devise était : « Sourire quand même.» Les années passèrent, assombries par l’Occupation au cours de laquelle il n’hésita pas à s’engager dans la Résistance.

 « Je suis fatigué la Patronne, je monte me coucher », c’était le 7 octobre 1959 et la guerre venait de le rattraper… Un éclat qu’il conservait dans sa chair s’était déplacé vers un poumon, il mourut étouffé.

Sources : archives familiales de Monsieur Maurice Croslard

A consulter :

Les souvenirs du capitaine Donès
http://war.megabaze.com/page_html/099-The%20wars%2014-18%20and%2039-45

le site des « Gueules cassées » est en maintenance
Union des Blessés de la Face et de la Tête « Les Gueules Cassées »
20, rue d’Aguesseau  BP 499  75366 Paris
contact@gueules-cassees.asso.fr 

« Gueules cassées de la Grande Guerre »  Sophie Delaporte, Agnès Viénot Editions, mai 2004