Né le 1er septembre 1887 à la Chaux-de-Fonds en Suisse d'une mère écossaise et d'un père suisse, Blaise Cendrars s'appelait en réalité Louis Frédéric Sauser. Habitué à voyager dès son plus jeune âge au gré des affaires paternelles, il sillonne le monde de Moscou au Brésil, de New-York à Paris en passant par Bruxelles et Londres.
En 1908, Louis Frédéric Sauser s'inscrit à l'Université de Berne. Il y rencontre Féla Poznanska, juive polonaise, qui sera sa compagne de l'avant-guerre, puis sa femme et la mère de ses trois enfants.
A son retour de New York en 1912, il s'installe à Paris. Il fréquente La Ruche à Montparnasse et se lie d'amitié avec le poète Apollinaire, les peintres Léger, Chagall, Braque, Modigliani, Picasso, Soutine. Il en profite pour faire connaître son génie dans le milieu littéraire et artistique ambiant.
Lorsqu’éclate la Grande Guerre, il publie un appel aux étrangers résidant en France et donne l’exemple en s’engageant dans l’armée française. Blaise Cendrars est affecté au 3ème Régiment de marche de Légion étrangère du camp retranché de Paris. Le Régiment devient quelques mois plus tard le 3ème Régiment de marche du 1er Etranger, il est instruit au camp de Rueil et prend la direction du front de la Somme fin novembre 1914.
Le Régiment est engagé à Rosières en Santerre dans des conditions chaotiques puis s’installe dans le secteur de Frise (vallée de la Somme) avec des périodes de repos à Hangest en Santerre.
Alors qu’il n’est que « première classe », le soldat Sauser possède un tel ascendant sur les hommes qu’il se retrouve naturellement à la tête d’un groupe franc. Ce dernier mène des actions isolées, quelques fois tragi-comiques, en marge des opérations officielles.
La nuit de Noël 1914, Blaise Cendrars et ses hommes introduisent dans les lignes allemandes un gramophone piégé. Ce dernier se déclenche à minuit en jouant la Marseillaise, attire ainsi les soldats ennemis, puis explose au milieu d’eux. Quelque temps plus tard, à l’aide d’un bachot, il parcourt les marais de la Somme à l’intérieur des lignes allemandes, capturant notamment un convoi et des plans d’état-major. Il est alors proposé pour la Légion d’Honneur mais son non-conformisme et son indiscipline l’empêchent de l’obtenir.
L’unité de Blaise Cendrars est ensuite affectée à un secteur du front réputé calme : Tilloloy. Les soldats campent dans le parc du château et le poète garde de cette période le souvenir d’une « robinsonnade ».
C’est à Tilloloy que Blaise Cendrars est témoin d’un fait étrange. Près des positions de son escouade, un bras humain encore agité de spasme tombe littéralement du ciel par une après-midi parfaitement calme où pas un coup de feu, pas un coup de canon n’est tiré. L’escouade téléphone dans tout le secteur et jusque dans les ambulances mais on ne signale aucun mort ou blessé ce jour là. Le mystère n’a jamais été éclairci. Cet incident inspirera au poète le titre d’un de ses livres : La Main Coupée.
En septembre 1915, il est grièvement blessé dans l'attaque de la ferme Navarin et perd son bras droit. La Grande Guerre ne meurtrit pas seulement son corps, elle éclaire aussi son regard sur la futilité de la vie parisienne. Même s'il continue d'habiter la capitale française où le nom de Cendrars est de plus en plus célèbre, l'agitation du milieu artistique avec ses revendications, ses manifestes, ses déclarations tapageuses, l'ennuie, il ne s'y reconnaît plus.
Entre les deux guerres, Blaise Cendrars refuse à plusieurs reprises la Légion d’Honneur à titre civil. Il répond invariablement que son colonel l’a proposé en 1915 et que c’est à titre militaire qu’il entend être décoré. En juillet 1939, il est enfin fait Chevalier de la Légion d’Honneur en tant qu’ « engagé volontaire étranger mutilé ».
Le soldat Louis Frédéric Sauser perd son denier combat contre la maladie et meurt à Paris le 21 janvier 1961.
Il laisse entre autres, quelques lignes définitives sur la Légion Etrangère :
« Etre un homme. Et découvrir la solitude. Voilà ce que je dois à la Légion et aux vieux lascars d’Afrique, soldats, sous-offs, officiers, qui vinrent nous encadrer et se mêler à nous en camarades, des desperados, les survivants de Dieu sait quelles épopées coloniales, mais qui étaient des hommes, tous. Et cela valait bien la peine de risquer la mort pour les rencontrer, ces damnés, qui sentaient la chiourme et portaient des tatouages. Aucun d’eux ne nous a jamais plaqués et chacun d’eux était prêt à payer de sa personne, pour rien, par gloriole, par ivrognerie, par défi, pour rigoler, pour en mettre un sacré coup, nom de Dieu, et que ça barde, et que ça bande, chacun ayant subi des avatars, un choc en retour, un coups de bambou, ou sous l’emprise de la drogue, de l’alcool, du cafard ou de l’amour avait déjà été rétrogradé une ou deux fois, tous étaient revenus de tout.
Pourtant ils étaient durs et leur discipline était de fer. C’était des hommes de métier. Et le métier d’homme de guerre est une chose abominable et pleine de cicatrice, comme la poésie. »
(Extrait de La Main Coupée)
© Santerre 14-18 2004