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Aspirant Pierre AUVRAY
225e RI, 60e DI

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Pierre Auvray

Pierre Auvray naquit le 14/12/1897 à Rouen où son père était architecte. La première partie de son Bac en poche, il fut incorporé le 11/1/1916. Sur ce portrait on le retrouve sergent le 6/8/1917 au 225e RI de Cherbourg avant d’intégrer Saint-Cyr et d’en sortir aspirant le 1/4/1918.

A travers les lettres qu’il écrivait très régulièrement à sa famille on remarque une évolution très rapide de son moral : à l’enthousiasme qui précède l’attaque de Montdidier succède une lassitude teintée de révolte.

Il fut fait prisonnier à Tilloloy le 20/8/1918 et ne devait retrouver ses foyers qu’à l’automne 1919 après sa démobilisation.

Il devait hélas connaître de nouveau le sort des prisonniers en juin 1940 alors qu’il était capitaine à l’état-major de la 26e DI. Libéré en 1941, il poursuivit sa formation militaire et termina chef de bataillon (réserve) en 1953.

Le 20/7/1918 l’aspirant Pierre Auvray montait en ligne avec la 17e Cie du 225e RI dans la région de Montdidier. Ce secteur était alors relativement calme et il en profita pour faire quelques photos de ses camarades

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8 août 1918

« J’ai reçu ta lettre avec le mandat avant de faire la relève. Je t’en remercie bien. Je pourrai ainsi célébrer joyeusement la réussite de notre attaque. Elle n’a pas lieu aujourd’hui mais demain. Ce matin elle a commencé à gauche, demain elle suivra à droite. Nous avons changé encore de coin et sommes revenus plus à droite. Il n’y fait pas bon et nous sommes tous entassés dans une tranchée où nous n’avons que peu de place, mais ce n’est que provisoire, puisque demain on sera presque à Berlin !!!! Malheureusement voilà les nuages qui s’accumulent et, pour changer on va avoir de la flotte ! C’est la déveine pour aller de l’avant. (…) Je me réserve pour demain le plus grand jour de ma vie. J’y vais de tout cœur, sachant qu’en faisant cela j’épargne peut-être à mon frérot toutes les horreurs de cette guerre et aussi pour le salut de notre chère France !!!! »


Citation à l’ordre de la division
225e Régiment d’Infanterie

Aspirant Auvray Pierre, N° Mle 16469, 17e Cie

« Jeune aspirant qui a fait preuve des plus brillantes qualités de bravoure, d’entrain et de décision au cours de l’attaque du 9 août 1918, enlevant tous les objectifs qui lui étaient assignés, capturant des prisonniers nombreux et des mitrailleuses et organisant sous un violent bombardement la position conquise »

Le 22 septembre 1918

Le Général Commandant la 60e DI
Signé : Jacquemot


11-8-1918

« C’est pendant une courte halte que je commence cette lettre avec espoir que je pourrai la terminer à temps. Que le temps passe depuis 4 jours ! On ne sait plus comment l’on vit ! Et que de fatigues ! C’est la guerre en rase campagne dans toute l’acception du mot. Voilà 3 jours que nous ne dormons pas ou à peine et comme manger il faut voir ça ! Ce matin j’ai roupillé 4 heures de 1 à 5h enroulé dans ma toile de tente et ma couverture sur l’herbe humide et tous, jusqu’au Commandant, nous logeons à la même enseigne. C’est vraiment la vie au grand air et combien de temps cela va-t-il durer ? Dieu seul le sait ! Heureusement encore que le temps est superbe. Pour une fois notre offensive a de la chance.
Mais les résultats obtenus sont superbes et en rapport avec notre fatigue, résultats du reste inespérés, même pas entrevus. Nous attaquions pour prendre les croupes sud de Montdidier sans espoir même d’entrer dans la ville, mais seulement de la contourner. Or nous commencions l’attaque avant-hier le 9 à 16 heures, à 20 heures nous avions atteint notre objectif sans trop de pertes et nous apercevions Montdidier à 2 km de nous. Toute la nuit se passa en qui-vive. Le lendemain au petit jour, les chasseurs à pied se sont avancés ; il n’y avait plus un boche dans les alentours. Naturellement nous avons repris aussitôt notre marche en avant et nous sommes entrés dans Montdidier les premiers. J’y ai pris les premières photos.
La cavalerie, les auto-mitrailleuses et canons, enfin toutes les troupes fraîches massées derrière nous en vue de la poursuite se mirent immédiatement à nous dépasser et reprendre le contact avec les boches, qui filaient rapidement enlevant tout ce qu’ils pouvaient, mais laissant aussi beaucoup de matériel et de munitions. Nous avons continué et nous sommes maintenant à plus de 12 kms au delà de Montdidier, talonnant encore les boches. Ils se sont arrêtés hier soir sur une ligne de résistance, mais je crois que nous allons attaquer à nouveau tantôt pour les déloger de là et les refouler plus loin, puisque sur tout le front on avance.
(…) En tout cas ça bardait surtout les mitrailleuses boches : plus d’une centaine en face de nous. On se demande comment l’on a pu s’en emparer (…)
»

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L’aspirant Auvray que nous voyons ici en juillet 1918 a pris trois clichés de Montdidier
 lors de son entrée dans la ville le matin du 10/8/1918. Hélas comme on peut le
 constater le temps a altéré irrémédiablement ces photos.


12-8-1918

« Jusqu’à présent j’ai eu de la chance. L’attaque véritable a duré 4 heures et ma Cie était de 1ère ligne. C’est dire si les obus et les balles ont sifflé près de moi. Le plus terrible ce sont les mitrailleuses. Pense que mon bataillon a pris 120 mitrailleuses et fait 220 prisonniers sur un front relativement étroit. Les boches n’ont presque que de cela et ce n’est pas facile à prendre. Nous avons eu relativement peu de pertes à la Cie, du 25 % environ.
Une fois arrivés sur notre objectif au sud de Montdidier, nous y avons passé la nuit ; les chasseurs à pied nous ont alors dépassé et commencé la poursuite car, pendant la nuit, sous la protection de leurs mitrailleuses, les boches avaient évacué Montdidier et ses environs. C’est ainsi que je suis entré dans la ville, un des premiers à 8 heures. Les 10 kms de poursuite d’avant-hier ont été bien fatigants. Les multiples courroies qui compriment la poitrine m’avaient arraché la chair des épaules.
(…) J'étais bien fatigué, la nuit nous avons dormi trois heures dans la rosée, ayant froid et dans l'après-midi nous avons gagné de nouvelles positions dont nous n'avons pas bougé depuis. Heureusement car tout le monde est esquinté. Depuis le 7 nous avons à peine dormi et mal mangé, du reste sans appétit et plutôt enfiévrés. La rase campagne est décidément vannante.
(…) Les boches se sont arrêtés sur une assez forte ligne de résistance occupant les villages de Tilloloy et Popaincourt, mais je crois que si les troupes peuvent avancer à droite et à gauche, ce saillant sera forcé de tomber. En tous cas, le régiment est en réserve puisqu’il a déjà trinqué et nous ne craignons plus que les tirs de barrage, qui sont souvent très denses et dont il est difficile de s’esquiver, vu qu’il n’y a pas de tranchées.
Nous attendons tous la relève avec une impatience fébrile. Je suis sale, dégoutant à faire peur avec une barbe de plus de 8 jours. Encore heureux qu’il eut fait beau, mais la chaleur est excessive et s’il nous fallait poursuivre, les hommes tomberaient comme des mouches.
»


14-8-1918

« Ce que je prévoyais pour aujourd’hui a été reculé à demain. Nous profitons donc encore de cette journée de tranquillité. Du reste, j’ai encore le très vague espoir que nous ne ferons rien car les sales boches nous ont envoyé beaucoup de gaz cette nuit et il y a beaucoup d’évacués. Je voudrais qu’il y en eut long encore car vraiment on prend au-dessus de nos forces. Tous les poilus en général, sont vieux et esquintés par la dernière attaque. On leur demande trop. J’attends donc avec confiance. Clémenceau a félicité avant-hier notre colonel mais cela ne nous suffit pas. C’est la relève qu’il nous faut.»


15-8-1918

« Je suis toujours en bonne santé et courageux. Quel drôle de 15 août nous passons encore ici ; c’est le deuxième que je passe aux tranchées ! Rien de bien spécial ; le temps est superbe et chaud et nous ne sommes pas encore parti plus loin mais gare à demain ! Le secteur est très agité ; l’artillerie ne cesse de tirer. C’est un véritable enfer tout autour. On s’y habitue heureusement.»


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Cette carte tranche singulièrement avec le reste de la correspondance de Pierre Auvray. Habituellement il donnait beaucoup de détails à son père ou s’étendait sur les nouvelles familiales avec sa mère. Peut-être n’avait-il pas le temps d’en dire davantage pour utiliser des formules aussi lapidaires ou encore ne disposait-il plus de papier car, comme il l’explique plus loin, toutes ses affaires étaient restées à l’arrière.


18-8-1918

« Nous vivons ici en vrais sauvages. Nous n’avons rien, ayant laissé toutes nos affaires à l’arrière ; nous ne nous lavons pas, on est dégoûtant. (…) Voilà maintenant 10 jours que nous sommes dans cet enfer et les boches ne sont pas contents, loin de là. Pendant l’attaque j’ai fait une petite rafle : un pistolet qu’un boche tenait encore quand je l’ai fait prisonnier, un bidon, un quart, une patte d’épaule. J’envoie ci inclus 1 mark que j’ai pris : à garder. Ce que je voudrais maintenant c’est un poignard mais plus difficile à trouver.»


20-8-1918

« Heureusement que les lettres de la famille me parviennent nombreuses. Elles me permettent d’espérer des jours meilleurs et elles redonnent du courage, car nos grands chefs, eux, nous enlèvent le peu qui nous reste. Ils sont impitoyables et font remonter en 1ère ligne des hommes exténués de fatigue par 11 jours d’une surexcitation physique et morale continue. Oui, après l’attaque que nous avons faite, après des journées de déménagement continuel, nous avons repris hier les 1ères lignes. C’est honteux !
Mais à quoi bon s’élever contre ces anomalies du métier qui ont existé et existeront de tout temps. Ce n’est pas la guerre qui aura été favorable à l’armée parce qu’elle nous en aura montré les bassesses et les vilenies. Et nous, pauvres inférieurs, nous acceptons tout avec le même calme, la même indifférence, un peu par force, il est vrai. Oh ! vivement qu’on soit retourné dans le 1er Civil, le meilleur et le plus libre de tous les régiments.
Voilà donc 11 jours que nous vivons cette vie affreuse de la guerre de mouvement, tout le temps en route, sous les obus, n'importe quand. On ne peut pas s' installer, on ne peut pas se laver. On est sale, dégoûtants de corps et d'effets et l'on résiste quand même. Qu'il est beau et digne d'admiration notre poilu français ! Heureusement le ravitaillement se fait à peu près normalement, et, bien que nous mangions la plupart du temps froid, on ne se plaint pas trop.
Le secteur est assez calme mais il est encore loin de se stabiliser complètement et il faut veiller de tous ses yeux, prendre garde aux pièges et aux surprises. En 10 jours, hélas, j'aurais bien vécu un an. 
»


Le récit suivant a été consigné dans un petit carnet par Pierre Auvray juste après sa capture :

20 août 1918

A 15h20 je reçois l’ordre d’attaque avec ma section et la ½ section Cottigny. Objectif : 1ère tranchée allemande (N de Beuvraignes).
A 15h40 je pars à l’assaut après avoir formé 3 groupes de 7 hommes. Je suis au centre avec le sergent Lombart, le Cal Girard, mon agent de liaison Chlolus et les hommes Constant, Hélame, Hardy, Besnehard.
A 16 heures Clolus est blessé au visage. Quelques minutes plus après Besnehard est mortellement blessé et Girard tué d’une balle au cœur.
A 16h30 je ne peux plus progresser, par suite du barrage intense des mitrailleuses. Je suis à 20m de la tranchée allemande et j’envoie rendre compte par Hélame de ma situation tout en demandant des ordres.
Malheureusement les ailes n’ont pas avancé comme le centre. Ceci cause ma perte. Lombart aperçoit tout à coup 2 boches à quelques mètres de nous. Immédiatement nous reculons de quelques trous d’obus à toute allure. Puis nous attendons à nouveau.
Au bout de quelques minutes une grenade allemande tombe pas loin de nous. Comment se sauver ? Lombart, puis Clolus et Hardy sautent par dessus le trou et rampent dans les fils de fer, mais sont accueillis par des rafales nourries de mitrailleuses. Je ne sais ce qu’il est advenu d’eux.
Quant à moi, j’attends un peu que le tir cesse, mais le boche est plus rapide que moi ; ils avancent de l’autre côté des fils de fer ; je les vois et me cache. Mais ils m’approchent, me visent et, n’ayant aucune grenade sous la main, je suis obligé de me rendre. Il est 17h30.

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Citation à l’ordre de la brigade

« Chef de section intrépide. Le 20 août 1918 a fait preuve d’une bravoure remarquable en entraînant ses hommes à l’assaut sur un terrain découvert et battu par le feu des mitrailleuses. A défendu la position qu’il avait conquises avec la plus belle énergie, s’y accrochant jusqu’au moment où il a été submergé par l’ennemi, très supérieur en nombre, et luttant avec sa troupe jusqu’à la dernière extrémité. »

PC, le 17 février 1919
Le Colonel Commandant l’ID / 60
Signé : Cuny
 


Sources : archives familiales de Monsieur Jean Auvray
Si vous disposez d’informations complémentaires contactez Marc Pilot (pilot2@tiscali.fr)