Le capitaine Thomas R. Price commandait la compagnie « X » du 3rd Bataillon (Royal Tank Corps) le 24 avril 1918. Cette unité avait été constituée à la hâte à partir de la compagnie « C » et détachée pour la défense d’Amiens. Elle comprenait sept chars Whippet. A 10H30 le capitaine Price qui se trouvait à 500 mètres en retrait du Bois de Blangy fut informé par la 58th Division dont il dépendait qu’un avion avait largué un message indiquant qu’une troupe estimée à deux bataillons se rassemblait pour une attaque à 1000 mètres à l’est de Cachy. Il reçut l’ordre de la disperser avant qu’elle ne lance son attaque. Comme la matinée était froide, les moteurs tournaient pour chauffer et le départ fut prompt. Price mena les chars jusqu’à un creux au nord de Cachy (Y) puis partit en reconnaissance.
Quelques centaines de mètres plus loin il croisa le capitaine Sheppard des Northamptons qui commandait deux compagnies (X). Celui-ci lui exposa que première phase de l’attaque ennemie avait tourné court mais qu’il s’attendait à sa reprise à n’importe quel moment et il indiqua l’emplacement où il pensait que les troupes qui s’étaient repliées allaient se reformer. La plaine qui s’étendait devant était bien dégagée et ondulée et constituait un terrain idéal pour les chars. Price rejoignit son unité au galop. Il donna rapidement ses ordres : former une ligne face au sud avec un espace de 50 mètres en chaque tank, traverser la coupure de Cachy (Cachy Switch), foncer en dispersant l’ennemi puis, une fois la ligne d’horizon atteinte (Z), faire demi-tour et charger de nouveau l’ennemi.
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Les tanks débouchèrent par surprise et mitraillèrent à bout portant les Allemands allongés qui se reposaient, ceux qui ne parvinrent pas à s’enfuir furent écrasés.. En revenant ils dispersèrent ceux qui restaient et on ne parla plus d’une attaque ennemie ce jour-là. Les pertes ennemies furent estimées au bas mot à plus de 400. « Nous perdîmes un tank dont le chef, poussé par son enthousiasme traversa la ligne d’horizon que j’avais fixée comme limite de l’attaque et fut victime d’une batterie d’artillerie en position quelque part près du Bois de Hangard ».
Ce récit du Capitaine Price, écrit 13 ans après les faits, devrait être la source la plus complète et la plus fiable. Il oublie cependant de signaler qu’en plus du char détruit trois autres furent mis hors de combat.
L’histoire officielle de l’Armée Britannique dresse un bilan correct mais affirme que les trois membres d’équipages du Whippet détruit furent tués. Il s’agit là d’une erreur car seul le 2nd Lieutenant Harry Dale perdit la vie tandis que les autres membres furent capturés.
Harry Dale est né à Petworth dans le Sussex et vivait aux Etats-Unis. Peu après le début de la guerre il revint et s’engagea dans la cavalerie comme simple soldat avant d’être nommé officier. Il fut tué sur le coup par un obus qui toucha la cabine mais il fut longtemps porté disparu. Les Allemands avaient extrait son corps pour installer une mitrailleuse et l’avait jeté dans un trou d’obus à une dizaine de mètres. Il ne fut retrouvé qu’en août 1918 et identifié par le capitaine Silver qui commandait le bataillon. Il fut enterré sur place avant d’être inhumé à Crucifix Corner (Villers-Bretonneux). |
Arthur Lincoln, né en 1897, était professeur quand il s’engagea en décembre 1915 dans le Royal Sussex Regiment. Il fut versé par la suite dans le Tank Corps et gagna la Military Medal à la bataille de la Harpe le 9 avril 1917 à laquelle il ajouta une barrette le 23 avril lors de la bataille d’Arras. C’était un soldat chevronné avec 18 mois d’expérience dans les tanks et que son capitaine qualifiait de brave et audacieux dans une lettre du 9 mai 1918. Il ajoutait qu’il était depuis longtemps son mitrailleur favori. Il n’a jamais parlé de la guerre après son retour et longtemps après il éteignait la télévision quand un film était diffusé sur ce sujet. Il fut ingénieur, pharmacien et se retira au pays de Galles en 1963 dans une ferme avec son frère. Il est mort en 1982. |
Quant à celui qui devait être le conducteur, John Herbert, on perd sa trace après la guerre où il épouse sa fiancée à Manchester et devient père d’une petite Gladys. Contrairement à Arthur Lincoln qui sortit aussitôt après la destruction du char, John Herbert resta plusieurs minutes à l’intérieur. Peut-être pressentait-il le sort qui pourrait être réservé à un équipage qui venait de réaliser un carnage ? Aux dires de certains les chenilles de ceux qui revinrent étaient rouges de sang. Quelques mois plus tard, dans le même secteur et dans des circonstance semblables, l’équipage du Whippet « Musical Box » fut lynché à coups de crosses et de baïonnettes.
Le leutnant Bitter commandait « Siegfried » le char A7V n°525. Il faisait partie d’un groupe de quatre engins qui devaient soutenir l’attaque de la 77. Reserve Division contre Cachy. Deux chars avaient dévié par rapport à l’objectif : le 542 « Elfriede » termina son aventure retourné dans une carrière tandis que le 561 « Nixe » fut détruit dans le premier combat de char de l’histoire par le Mark IV du lieutenant Mitchell. Si ce combat est bien connu, la deuxième confrontation entre chars est plus controversé. Lorsque le brouillard se leva vers 11H00 « Siegfried » put intervenir efficacement en prenant une tranchée en enfilade dont les occupants furent tués ou dispersés. Peu après le leutant Bitter vit son infanterie reculer, il se porta vers elle pour la ramener au combat et c’est à ce moment que les sept Whippet apparurent.
Bitter affirme avoir ouvert le feu sur le plus proche qui se trouvait à l’extrême droite à une distance de 200 m et l’avoir détruit au deuxième obus. Il s’agit indéniablement du whippet du 2nd lieutenant Dale qui avait largement distancé les autres et l’on peut raisonnablement penser qu’il mit effectivement un coup au but. Il déclare également avoir touché un second char à une distance de 700 m également au deuxième obus. Cette seconde victoire est beaucoup plus discutable parce qu’avec les moyens de pointage rudimentaires du canon de 57mm il était difficile de toucher une cible mouvante à cette distance. Le percuteur de son canon étant cassé, il poursuivit les autres chars à la mitrailleuse et en aurait endommagé deux. Ces deux derniers chars ont plus probablement été victimes d’une batterie d’artillerie, celle du leutnant Wölhke du 6. Garde Artillerie Regiment qui constituait l’Infanterie Begleit Batterie de la 4. Garde Infanterie Division et qui se trouvait en lisière du Bois de Hangard.
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A 10H30 les whippet rompirent le combat et à 14H30 ils avaient regagné leur point de départ. Il sera très difficile de savoir avec certitude s’il y a eu un second combat de chars ce 24 avril 1918 dans le secteur de Cachy. Indéniablement cependant cette charge des whippet a désorganisé l’attaque allemande qui était bien proche de s’emparer du village.
Sources :
Archives familiales de Monsieur Simon Bull (petit-fils de Arthur
Lincoln)
et de Monsieur John Dale (petit-neveu de Harry Dale)
http://www.derkampfpanzer.de/einsatza7v.htm
« Tanks and trenches » David Fletcher
« Achtung panzer » Heinz Guderian
Récit du capitaine Price
© Santerre 14-18 2005