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La petite Vierge des tranchées

D’après le « Semeur », décembre 1935

Ne vient-elle pas à son heure, la petite statue que nous avons placée dans notre église le 11 novembre dernier, et dont on ne lira pas l’histoire sans émotion.

C’était en 1917, la 2e compagnie du 64e Régiment d’Infanterie partait à l’attaque du bois de Pargny-Filin (Aisne). Chemin faisant au beau milieu du bois un séminariste, Demorsy Camille, aperçoit abandonnée par terre une statue de Notre Dame de Lourdes. Comment était-elle arrivée là ? Vraisemblablement quelqu’un qui en évacuant de son village avait tenté d’emporter l’image de Celle en qui il mettait ses dernières espérances ; quelqu’un sans doute dans l’impossibilité d’emporter plus loin son précieux fardeau l’avait déposé là, lui confiant sa dernière prière, et formant secrètement le vœu que quelqu’un puisse le recueillir. Et voici que ce jeune séminariste de Mézières-en-Santerre, apercevant la statue, forme le pieux dessein de l’emporter.

Pauvre petite statue de plâtre, arriverais-tu à destination ? Pendant un mois et demi environ, faisant des kilomètres et des kilomètres, l’abbé Demorsy ne se sépare pas de sa vierge… et il confie son secret à son camarade Georges Delasalle, qui est de Moreuil (un quasi-pays) et qui est avec lui à la 2e compagnie.

« Cette statue, vois-tu, je veux en faire cadeau en souvenir de moi, à l’église de Moreuil. Celui des deux qui partira en permission de détente la portera à Moreuil et la remettra à M. l’abbé Accart, le Doyen. Tu veux bien ? »

« Entendu », lui dit G. Delasalle, « tu peux compter sur moi. »

Et ce fut justement G. Delasalle qui partit le premier, de sorte qu’en plus du casse-croûte dans la musette et l’inévitable bidon de pinard, notre permissionnaire descendit un beau jour à Ailly-sur-Noye avec la Vierge du bois de Pargny. De la gare d’Ailly à Moreuil, la Vierge fit ainsi ses derniers 12 kms avec les jambes de Georges qui enfin remettait, suivant le vœu de son ami, à M. l’abbé Accart sur la place de l’église « le dépôt sacré. »

Grâce à ces deux soldats dont le cœur battait à l’unisson, cette pauvre petite statue fragile était sauvée ; il semble même qu’elle n’a point connu les terribles dangers de la guerre.

Elle reste, grâce à eux, je le répète, impassible, la Reine de la Paix.

C. Fournier

 

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Delasalle Georges Albert Alphonse (portrait). Son livret militaire indique que sa permission de détente se déroula entre le 13 / 11 / 1917 et le 22 / 11 / 1917. En mars 1918 il fut sérieusement blessé par des éclats dans le bras droit, la jambe gauche et la région fronto-pariétale droite. Il fut porté par des camarades bretons dans une toile de tente sur plus de 14 kms avant d’être soigné par les Allemands.

Demorsy Camille Fernand Arriel était tout comme son camarade de la classe 1916. Il fut blessé et mourut le 27 mai 1918 à l’HOE 32 de Mont Notre Dame dans l’Aisne. Il est enterré au cimetière de Mézières-en-Santerre.

En 1918 Moreuil fut presque complètement détruit et l’église n’était plus qu’un champ de ruines. La statue fut épargnée et resta sur son piédestal pendant plusieurs décennies avant de disparaître au cours d’un nettoyage il y a quelques années. Malgré de nombreuses recherches elle reste introuvable à ce jour.

Sources :
Documentation d’Emile Beaudouin de Morisel
Archives familiales Georges Delasalle de Moreuil

pilot2@tiscali.fr