Le 26 septembre au matin, les Allemands étaient fortement retranchés sur la ligne Laucourt-Rethonvillers ; les Français au sud de la ligne Gruny-Thilloy.
« Dès 7 heures l’artillerie lourde allemande en batterie à 8 ou 9 kilomètres au nord de Roye a commencé à bombarder nos tranchées très nombreuses dans la plaine : tir sur zone, sans réglage, c’est ce que nous a appelons l’arrosage. Notre 75 n’ayant pas une portée suffisante pour nous permettre de répondre à cette artillerie, nous nous contentons de battre les tranchées allemandes et quelques batteries de campagne de 77 qui nous avaient été signalées au cours de la matinées.
Le poste de commandement de la 16e brigade (colonel Gazan), et du commandant de l’artillerie (Colonel wallut) était derrière les meules de paille 2 et 3.
Vers 11 heures, nous avons pris notre frugal repas froid de chaque jour : jusqu’à ce moment, la grosse artillerie ne nous avait causé aucun mal.
Vers 13 heures, nous étions au repos, bavardant sur les sujets les plus divers, sans nous soucier des obus qui continuaient toujours à tomber à 400 ou 500 mètres de nous.
Les places des officiers étaient alors de gauche à droite sur le plan, derrière les meules 2 et 3 : lieutenant-colonel Prévost, commandant le 317e ; capitaine Ogier de Baulny du 317e ; commandant Aublin du 317e ; sous-lieutenant de Cossé-Brissac ; commandant Delisle, capitaine Deshaires ; colonel Gazan, commandant la 16e brigade ; capitaine Marty, colonel Wallut, sous-lieutenant Furiet du 31e d’artillerie, sous-lieutenant Lhote du 26e d’artillerie.
A 13 heures 15, les obus allemands se sont rapprochés de nous et même une salve a encadré nos meules de paille à 100 mètres environ. J’ai dit alors au colonel Wallut : »Mon colonel, les Allemands allongent leur tir, la place est mauvaise, nous devrions la quitter et aller de l’autre côté de la route où il n’est rien tombé jusqu’à présent. »
Le colonel Wallut répondit : « Vous savez bien que ce n’est pas du tir observé et que l’arrosage n’est pas dangereux. »
Quelques instants après, une nouvelle salve arrivait dans un tapage formidable et un obus tombait au point marqué par une croix, c’est-à-dire à 1 mètre de nous. Cet obus tua sur le coup les trois premiers officiers à partir de la gauche, blessa le capitaine Marty et moi.
Les corps des trois malheureux officiers tués furent transportés dans un pensionnant de jeunes filles transformé en ambulance (n°7 dans Roye) ».
Récit écrit du commandant D… (commandant Delisle)
« A 17 heures 45, la lutte d’artillerie reprenait avec violence, mais le 2e groupe est insuffisamment défilé, ses lueurs sont vues, et les Allemands règlent sur lui, lui faisant des pertes sensibles, sans qu’il ait pu éteindre leur feu.
A la nuit, les 3 groupes se retiraient vers le sud. A ce moment, la ferme de l’abbaye était à nous mais non Gruny. »
Journal de Marche du Colonel Wallut.
Le 27 septembre au matin, les Allemands occupaient donc Gruny et Thilloy. Ordre était donné à l’artillerie de battre Thilloy et Gruny où les Allemands avaient installé des mitrailleuses dans le clocher.
Le poste de commandement de la 16e brigade et du commandant de l’artillerie avait été transféré dans une maison située sur la route de Péronne, au sud de la sucrerie Lebaudy.
Durant la matinée, le bombardement de la veille avait repris plus violent avec du 150mm et du 210 mm : jusque vers midi, nul ne s’en souciait, lorsque subitement les éclatements se rapprochèrent et un obus tomba dans la cour de la maison où était installé le poste de commandement de la 16e brigade. Là, se trouvaient à ce moment : le colonel Gazan commandant la 16e brigade (sur le point de passer général), le colonel Wallut, les lieutenants Tissier et Lhote de l’artillerie.
Malheureusement, instruits par l’accident de la veille, ces officiers décidèrent de changer de place : au moment où ils sortaient de la maison un projectile éclatait dans la rue pavée, tuant sur le coup le colonel Gazan et le lieutenant Lhote et blessant très grièvement le colonel Wallut aux jambes ; le lieutenant Tissier dut son salut au retard qu’il mit à sortir, car il était encore dans la maison au moment où le projectile fatal tomba.
« Malgré ses horribles blessures et ses souffrances qui devaient être atroces, le colonel Wallut ne perdit pas un seul instant connaissance ; se rendant parfaitement compte de la gravité de son état, il n’en conserva pas moins tout son calme. »
Lettres du lieutenant F… et du capitaine B…
Il fut transporté sur un brancard au pensionnat ambulance (n°7 dans Roye). En cours de route, apercevant l’abbé Fontaine, aumônier du 117e d’infanterie, il le fit venir et réclama auprès de lui la consolation de remplir ses devoir religieux. Il reçut les derniers sacrements avec une résignation et un calme admirable. Tous les assistants pleuraient, à genoux devant ce brave, en répondant aux prières de l’aumônier.
Quand les prières furent dites : « Votre mission est terminée », dit-il à l’aumônier ; « vous direz à ma femme que je suis mort en chrétien. » Puis, sans se départir un instant de son sang-froid, il mit ordre à toutes les questions en cours, d’ordre tactique et militaire, et fit ses dernières recommandations au lieutenant Furiet, dernier officier de son état-major, qui revenait de reconnaissance au moment où l’accident eut lieu.
« Quelques heures après, le colonel Wallut mourrait dans les bras des médecins, pendant que ceux-ci tentaient une opération qu’il ne put supporter. »
Lettre du capitaine B…
« Le 28, Roye était bombardé systématiquement par des obus de gros calibre : les maisons s’écroulaient les unes après les autres, ensevelissant sous leurs ruines de nombreux habitants qui n’avaient pas eu le temps de fuir. Le pensionnant ambulance était évacué, et les corps des six officiers tués les deux jours précédents étaient transportés dans trois fourgons au village de Laucourt, à 3 kilomètres au sud de Roye, où devaient avoir lieu les obsèques. »
Récit écrit du commandant D… (commandant Delisle)
La levée du corps fut faite vers treize heures par l’abbé Grandin à la chapelle… où les cercueils avaient été déposés : le bombardement continuait avec une violence accrue ; trois ou quatre officiers étaient présents ; parmi eux, le lieutenant Furiet représentait le 31e d’artillerie. « Cette cérémonie du 28 septembre 1914 ! Quelle impression elle fit sur tous les assistants ! » écrit trois ans après le général B. (Boëlle)
« Il ne faut pas de grandes phrases pour la décrire. Une petite église de village dont le clocher pointu se découpait en noir sur le ciel de six heures du soir ; les vitres illuminées à peine par quatre cierges (on n’en avait pas allumé davantage pour ne pas attirer l’attention de l’ennemi. Six cercueils étaient alignés dans le chœur, recouverts de drapeaux et entourés de hussards sous les armes. C’étaient ceux des colonel Gazan, Wallut, du lieutenant-colonel Prévost, du commandant Aublin, du capitaine Ogier de Baulny et du lieutenant Lhote. Il faisait presque nuit et le canon faisait rage à 2 kilomètres de là. »
Récit écrit de l’intendant K…
L’abbé Grandin, aumônier du 4e Corps présidait la cérémonie, un canonnier séminariste, revêtu d’un surplis, remplissait les fonctions d’assistant. Une vingtaine d’officiers, parmi lesquels le général B…., commandant le 4e Corps, une cinquantaine de soldats, tous ceux qui étaient disponibles à Laucourt, étaient présents.
Dans une courte et émouvante allocution, l’abbé Grandin laissa parler son cœur de prêtre et de soldat ; puis, la cérémonie terminée, les corps furent chargés dans des fourgons et conduits au cimetière où une grande fosse de 6 mètres sur 2 mètres avait été creusée.
Un à un, les cercueils furent descendus dans cette fosse par les soldats du génie et déposés côte à côte ; et c’était poignant de voir ces six cercueils se détachant en blanc sur le fond noir de la fosse ; six croix formées de lattes sur lesquelles on avait inscrit les noms avec un bout de bois trempé dans l’encre étaient alignées contre le mur.
Récit écrit de l’intendant K…
« Le soir tombait ; de gros nuages noirs chargés d’eau étaient emportés dans le ciel par un vent violent d’ouest : le ciel était sans cesse sillonné par les éclairs des obus qui éclataient sur Roye et les villages voisins : plusieurs de ceux-ci en flammes empourpraient l’horizon. La canonnade faisait rage et grondait de façon ininterrompue »
Lettre du général B… (Boëlle)
Les plaques de la grande stèle du cimetière de Laucourt ne comportent que quatre noms, les corps du lieutenant-colonel Prévost et du lieutenant Lhote ont donc été exhumés.
Source : « Le Colonel Wallut, 2 septembre 1856 – 27 septembre 1914, Tué à l’ennemi à Roye (Somme) » Anonyme, Deslis Frères et Cie à Tours, sd.
© Santerre 14-18 2004