Extrait du « Petit Bulletin de Moreuil », n°2, septembre 1918.
Chanoine Accart, curé-doyen de Moreuil
« J’ai fait, le jeudi 27 septembre, mon douloureux pèlerinage à notre Moreuil. Quel désolant tableau et quel serrement de cœur devant le navrant spectacle qui s’offre à nos yeux. Pour avoir une idée d’une partie des horreurs de la guerre, c’est là qu’il faut aller. Du pays si gai que nous avons laissé au 28 mars, il ne reste à peu près que des ruines.
Notre belle église gothique du XVe siècle, si bien restaurée par Mr. L’abbé Vauclin en 1869 et si admirée pendant la guerre par les officiers et les soldats, où sont venues prier tant de générations, où tant de chrétiens ont accompli les grands actes de leur vie et où la grâce de Dieu a travaillé tant d’âmes, notre chère église, dis-je, a subi le sort commun. Les obus se sont abattus avec rage sur elle, et malgré sa solide ossature, elle est couverte de très larges blessures. De la toiture, il ne reste que la charpente du sanctuaire, du chœur et d’une grande partie de la nef ; le reste est détruit. La voûte s’est effondrée partout, sauf dans la petite nef de droite. Les piliers avec les gracieuses sculptures de leurs chapiteaux, restent debout au milieu de cette dévastation, comme des hommes en prière. Les rosaces du haut sont en parties blessées par des éclats d’obus. Les fenêtres n’ont plus de vitraux et ont pour la plupart perdu leurs meneaux. Les murs, malgré leur puissante résistance, ont cédé par endroits à la violente poussée des obus. La tribune ravagée elle aussi par la mitraille, s’est effondrée, emportant les orgues dans sa chute, et ne forme plus qu’un immense amas de décombres sur le pavé de l’église. Notre beau et solide clocher, avec les nombreuses voussures si finement sculptées de son porche n’existe plus ; il n’est qu’un amas de pierres brisées jusqu’à l’émiettement. Naturellement, il n’y a plus trace de cloches, même dans les décombres. Le portail se dresse encore debout devant les ruines, mais les sculptures de son porche sont écrasées par les éclats d’obus et l’angle de gauche est ouvert par un obus.
Du mobilier il reste le maître-autel à peu près intact, l’autel de la chapelle du Sacré-Cœur, quelques stations de Chemin de la Croix, la chaire et deux statues ; celle de la Sainte Vierge et de Jeanne d’Arc, contemplant les ruines d’un regard plein de compassion, nous disant la patience du ciel et la promesse de la réparation. Les bancs sont pour la plupart écrasés par les pierres qui sont tombées de la voûte et l’église est pleine de décombres. La sacristie est détruite de fond en comble, et on ne rencontre dans ses ruines pas même la moindre trace d’ornement et de mobilier.
En arrivant par Thennes, ma première visite a été pour le cimetière, quel horrible spectacle se présenta à mes yeux ! Les obus avaient outrageusement ravagé ce champ de repos. C’est par centaines qu’ils sont tombés tant dans le cimetière paroissial que dans le cimetière militaire. Il se sont abattus avec rage sur presque tous les monuments qu’ils ont mis en pièces et dont quelques-uns sont épargnés ; ils se sont enfoncés avec rage dans les caveaux sans doute déjà ouverts par les Allemands pour s’y cacher et tirer de là sur les soldats français, et y découvrant les cercueils. La croix monumentale, élevée au milieu du cimetière, est brisée et les murs eux-mêmes ont cédé en bien des endroits à la violente poussée des obus. Au cimetière militaire, les tombes sont ravagées comme au cimetière paroissial : les petites croix en bois, portant le nom des braves morts pour la France, ont été emportées en grand nombre par la mitraille. On peut dire que pas un coin n’a été respecté.
J’ai cherché partout un quartier debout. Je ne l’ai point trouvé ; 5 ou 6 maisons d’assez grande importance sont réparables : un certain nombre d’autres et en plus grande quantité mais plus modestes le sont aussi et le seront certainement assez rapidement. Par-ci, par-là on rencontre des parties de maison utilisables après réparations ; mais pour le reste, c’est la ruine. L’Hôtel de Ville si jeune et solide, a reçu sa large part d’obus ; d’immenses baies s’ouvrent partout dans ses murs qui se présentent horriblement blessés. L’Hospice n’a plus que quelques murs debout et le reste est détruit. Les Ecoles communales et libres, classes et habitations, sont dévastées comme le reste et les obus ont pratiqué dans les murs d’immenses ouvertures qui les rendent méconnaissables. Le Château avec ses vieilles tours, a subi aussi la cruelle morsure des obus, après avoir passé l’épreuve du feu et n’est plus qu’un immense ruine. »
© Santerre 14-18 2004