Le poing brisé
d’avoir frappé l’envahisseur,
Permets que poursuivi par l’indicible mort,
De mon exil sonore, amante aux chairs perdues,
Je rêve aux soirs heureux où j’encerclais, vainqueur,
Et ne pressentant pas mon misérable sort,
En mes bras fortunés, ta jeunesse éperdue.
Vous aussi, notre
mère, enclose en la maison
D’où jadis s’envolaient nos désirs d’hirondelles ;
Toi, la plus tendre amie, aussi franche que belle ;
Vous, la femme inconnue et pourtant désirée,
Anges éblouissants, françaises adorées,
Recueillez les soldats épuisés sous vos ailes.
Ton orage
implacable énerve l’horizon.
Quand la vapeur de soufre et les éclairs de flammes
Calcineront ce cœur qui vous a tant aimées,
Qu’il repose à jamais sur vos seins frémissants.
Ne laissez pas la boue ensevelir nos âmes.
Il serait dur qu’en vain fut versé notre sang.
Veuillez le recevoir entre vos mains parfumées.
Gabriel-Tristan Franconi
« La dernière lettre écrite par des soldats tombés au champ d’honneur 1914-1918 »
Union des pères et des mères dont les fils sont morts pour la Patrie, E. Flammarion 1922.
Gabriel-Tristan Franconi avait publié en avril 1918 « Untel de l’armée française » chez Payot et Jean-Norton Cru en présente une analyse sans concession dans « Témoins » au Presses Universitaires de Nancy, 1993. Il qualifie cet ouvrage d’erreur et lui reproche son caractère poétique et fantaisiste quant à la représentation de la guerre. Franconi était pourtant un vrai combattant et ne manquait pas d’audace comme en témoigne ce récit le concernant :
Le commandant fait appel au sous-lieutenant Franconi. Il lui indique qu’un petit poste ennemi doit être installé à mi-chemin entre la ferme Fourchon et le parc. Il lui prescrit donc d’organiser une patrouille pour essayer de faire un ou deux prisonniers. Connaissant la valeur de Franconi, le commandant lui laisse carte blanche… « Bien » répond Franconi, « ce sera pour demain soir. »
Le lendemain vers 15H00, grand remue-ménage autour du P.C. du bataillon. Je m’avance et je vois Franconi, en bras de chemise, son revolver à la main, poussant devant lui deux boches ahuris… « Voilà les prisonniers demandés mon commandant » dit-il. Que s’est-il passé ?
Avant d’exécuter sa patrouille, Franconi, accompagné du caporal Boulogne et de Ladmiraux, son ordonnance, est parti à travers les blés pour repérer plus exactement le petit poste lorsque tout-à-coup il se trouve nez à nez avec lui… Que faire ? Il y a dans le petit poste cinq hommes. Deux dorment sur la banquette de tir. Les trois autres causent ensemble mais n’ont entendu aucun bruit. Franconi prend une décision rapide : « puisque nous sommes à pied d’œuvre, allons-y ! » dit-il. « Expédions les trois qui ne dorment pas et conservons précieusement les deux autres, il nous faut des prisonniers. » Ils sautent dans la tranchée, en tuent deux, le troisième est grièvement blessé en escaladant le parapet pour s’enfuir. Les deux dormeurs ahuris, sont faits prisonniers et ils rentrent dans nos lignes.
Témoignage du commandant Balland du 272e RI
recueilli par M. Masse, ancien maire de Grivesnes.
La période concernée date d’après juin 1918 puisque Franconi a été nommé sous-lieutenant à ce moment et le 23 juillet 1918 quand il a été tué à Sauvillers près de Grivesnes.
© Santerre 14-18 2004