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Marcel CAVIN
19e BCP

Aux lettres là d’dans !

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S’il ne fait aucun doute que le courrier occupa une place centrale dans la vie des soldats, rarement un texte ne l’a aussi bien exprimé. La sensibilité de ce jeune homme de 22 ans, la finesse de la restitution de la scène ne manquent pas de surprendre… On est très loin de « Vive le pinard » ou de l’affligeant « Le cri du poilu » de Vincent Scotto.

 

 Marcel CAVIN est présenté dans la section « portraits de combattants »

 

Troyes, le 28 août 1916.

Ma chère petite sœur,

«  Aux lettres la d’dans »

Dans la chambrée aux murs blanchis à la chaux les hommes, des bleus, sont étendus sur leur lit paupières mi-closes. Depuis dix minutes ils sont rentrés de l’exercice et le soleil était chaud et la route poudreuse, maintenant en attendant l’heure de la soupe ils se reposent.

Mais à l’appel de l’agent de semaine tous se sont redressés. Aux lettres ! C’est le meilleur moment de la journée, celui qui, pour un instant, nous fait oublier que l’on est seul malgré la multitude qui vous entoure et qui vous rapproche de ceux que l’on a laissé derrière soi. Aussi, au calme de tout à l’heure une rumeur a succédé, personne ne sent plus la fatigue et chacun se précipite vers le caporal chargé de la distribution.

Pourtant, quelques uns n’ont pas fait un mouvement et semblent étrangers à la scène : Ceux-là ont perdu l’habitude de se déranger au moment du courrier car ils savent bien, les malheureux, qu’il n’y a rien pour eux.

Tout à coup le bruit cesse : le caporal commence l’appel des heureux destinataires, et un à un les noms tombent dans le silence : « Violette !… Thiroux !… Farque !… Boutout !… Sernut !… »

A chaque appel une voix crie « Présent ! », une main se tend et le petit carré blanc disparaît. Monotone, la voix continue et à chaque appellation une figure rayonne : d’un coup d’œil sur l’adresse le bleu reconnaît l’écriture, enfouit la lettre dans sa poche et redevient attentif le regard suspendu aux lèvres du vaguemestre qui s’écrit avec un soupir « C’est tout ! » Chacun regagne sa place en parcourant la lettre qu’il a prestement décachetée et, étendu ou assis sur son lit minuscule, s’intéresse aux nouvelles du pays écrites d’une main chérie.

Comme à ce moment il est loin des commandements brefs et saccadés, comme il est loin des punitions qui tombent sans savoir au juste pourquoi ! Il est là-bas à Paris, ou là-bas dans un petit village mais à coup sûr auprès de ceux qui l’aiment et à qui il le rend bien !

D’autres cependant sont revenus lentement, les mains dans les poches, les pas traînants. C’est qu’ils n’ont pas entendu leur nom et ils sont tristes quoiqu’ils pensent :  « Ce sera pour demain ».

Et maintenant les questions s’entrecroisent :

- « En as-tu ? »
- « Oui… Et toi ? »
- « Moi ?… Trois ! Je suis bien servi aujourd’hui… »
- « Et toi là-bas ?… »
- « Moi, rien, mais bah ! quand on n’a pas de lettre, pas besoin de répondre… »

Il crâne le petit bleu, mais au fond que ne donnerait-il pas pour pouvoir dire, comme ses camarades : 

- « J’en ai une et c’est ma petite sœur ! »

Marcel.